Plongée dans les secrets gourmands des fromages fermiers de Lorraine

4 septembre 2025

La Lorraine évoque souvent la mirabelle ou la quiche, mais c’est pourtant l’un des berceaux secrets du fromage en France. Entre prairies vallonnées et forêts épaisses, le fromage y est une institution, portée par une poignée de producteurs fermiers passionnés. En Meurthe-et-Moselle notamment, l’artisanat fromager prend une dimension quasi familiale : tout, du pis de la vache jusqu’à l’assiette, relève d’un savoir transmis, peaufiné et jalousement gardé. Mais quels sont donc ces fameux secrets qui font des fromages lorrains des produits à part ?

La base d’un grand fromage lorrain ? Un lait d’exception. Déjà, pas de recette miracle sans vache bien choisie. Ici, trois races dominent : la Prim’Holstein pour son abondance, la Montbéliarde et la Vosgienne pour la qualité aromatique de leur lait. La Vosgienne, discrète mais pleine de caractère, donne un lait bien protéiné, parfait pour des pâtes fines et fondantes (source : Institut de l’Élevage).

  • L’alimentation : L’autre clé, c’est le pâturage. Les vaches lorraines broutent essentiellement herbe fraîche du printemps à l’automne, parfois agrémentée de foin ou de luzerne l’hiver. Pas de silo, ni d’ensilage qui dénaturerait les arômes du lait.
  • La traite : Le lait est travaillé cru, voire tiédi, pour préserver la flore locale, véritable signature du terroir. Chaque lait est unique, influencé par la météo, les plantes des prairies et même la lumière !

Une petite anecdote : une étude de l’INRA a montré que le lait issu de la seule Vosgienne contient naturellement plus d’acides gras oméga-3 que celui de la Prim’Holstein (source : INRAE). Voilà de quoi justifier pleinement la diversité d’un plateau lorrain !

Ici, on fabrique encore beaucoup selon la tradition. Le lait, à peine filtré, passe à l’étape de l’ensemencement avec des ferments sélectionnés sur place, souvent transmis “de mère en fils”. Le caillé, résultat d’une acidification naturelle, est tranché à la lyre : chaque ferme, chaque famille a sa propre méthode, parfois jalousement gardée depuis trois générations.

  • Le moulage : Il diffère selon les fromages : le Carré de l’Est (le “petit cousin du Munster”) est moulé à la louche, la Tomme de Lorraine pressée doucement à la main.
  • L’égouttage : Pas de machine : le caillé est retourné plusieurs fois, parfois pendant plus de 24h, dans de grandes faisselles en inox ou en osier tressé.
  • Le salage : Toujours délicat, souvent manuel, il joue sur le goût, la conservation et la texture.

Petite info insolite : selon la Chambre d’Agriculture de Meurthe-et-Moselle, le temps moyen passé par un producteur fermier pour la fabrication d’un lot de fromages (hors affinage) est d’environ 4 heures, contre à peine 1h15 en industrie (2022). Le secret du goût se cache souvent dans ces gestes minutieux.

Vient ensuite ce qu’on pourrait appeler la “deuxième vie” du fromage : l’affinage. Tout se joue ici, dans la cave de la ferme, parfois centenaire, souvent à même la pierre. Les fromages sont frottés, retournés, dorlotés, surveillés… Certains vont mûrir à l’ancienne sur claies d’épicéa, d’autres bénéficieront de brossages réguliers.

  1. Le Munster gérômois est frotté à l’eau salée, ce qui développe sa fameuse croûte orangée et un cœur envoûtant.
  2. Le Brouère (véritable emblème vosgien) est parfois frotté à la mirabelle, un secret de famille qui s’exporte peu !
  3. Certains fromages fermiers sont affinés entre 1 mois et 12 mois, selon le résultat voulu.

Selon l’Association des Fromagers Fermiers du Grand Est, 40 à 50% du temps de travail fromager est consacré… simplement à l’affinage ! C’est là que les arômes se concentrent, que les pâtes se transforment, que les croûtes évoluent.

  • Sur environ 135 producteurs fermiers fromagers en Lorraine (source : Chambre d’Agriculture Grand Est, 2023), une trentaine seulement se trouvent en Meurthe-et-Moselle, majoritairement dans le Saintois, le Pays de Briey et le Toulois.
  • Les fromages fermiers représentent moins de 7% de la production totale de fromages en Lorraine, mais 25 à 30% des ventes directes en marchés et circuits courts (source : FranceAgriMer).
  • Un producteur fermier moyen fabrique 100 à 350 fromages par semaine ; les plus petits ateliers ne produisent que 25 à 50 pièces, vendues exclusivement à la ferme ou sur les marchés locaux.
  • La Meurthe-et-Moselle abrite quelques “poids lourds” traditionnels : fromages de chèvre fermiers (notamment vers la colline de Sion), la tomme de vache, le Carré de l’Est, la Tome du Saintois, parfois quelques pâtes persillées confidentielles.

Le circuit court reste la clé : 80% des ventes se font à la ferme, en Amap ou sur des marchés hebdomadaires (source : La France Agricole).

Si le Munster est parfois surnommé “fromage des Vosges”, sa déclinaison lorraine n’a pas son pareil. Ici, un goût herbacé, presque floral, se développe dans les pâtes molles, avec parfois des notes “noisette” inattendues sur certaines tommes d’alpage. Le secret ? L’herbe, les fleurs, l’air même des fermes de plaine et de côteaux.

Fromage Particularité Accord idéal
Tomme de Lorraine Saveur douce, croûte grise, légèrement rustique Vin Gris de Toul
Munster fermier Croûte orangée, cœur fondant, arômes puissants Gewurztraminer ou bière ambrée
Fromages de chèvre frais Lait cru, herbacé, parfois roulés dans la cendre Auxerrois ou pinot blanc
Brouère Pâte pressée non cuite, saveurs complexes Mirabelle ou Crémant de Lorraine

Des études menées par Le Cniel montrent que 42% des consommateurs cherchent une “saveur marquée du terroir” sur les fromages lorrains. Preuve, si besoin, que le goût de la ferme reste l’atout séduisant de la région !

L’un des grands charmes de la Meurthe-et-Moselle, c’est la proximité avec les producteurs. Plusieurs adresses valent le détour :

  • GAEC du Haut Bois (Colline de Sion) : fromages de vache et de chèvre certifiés bio, visites pédagogiques l’été.
  • La Ferme St-Rémy (Saizerais) : célèbres Tommes de Lorraine, Carré de l’Est, produits laitiers frais.
  • Fromagerie du Saintois (Vaudigny) : système de visites et de dégustations commentées.
  • Marché de Toul (samedi matin) : plusieurs producteurs du Toulois et de la vallée de la Moselle, souvent récompensés au Concours Général Agricole.

Pour trouver d’autres adresses, le site Produits Fermiers Lorraine répertorie tous les producteurs ouverts à la visite dans la région.

Face aux géants industriels, la production fermière lorraine joue sur la carte de la différence et du goût. De plus en plus de jeunes installés reprennent l’affaire familiale ou créent leur propre atelier, misant sur la qualité, l’authenticité et parfois la certification biologique. Les secrets de la tradition continuent de séduire, tout en s’ouvrant à de nouvelles aventures : fromages affinés en croûte de bière, variantes au cumin, et même premiers essais de fromages vegan à base de lait d’avoine lorrain.

Dans un monde où le goût semble parfois s’uniformiser, le fromage fermier de la Meurthe-et-Moselle, lui, n’a jamais eu autant de caractère. Chaque croûte cache une histoire, chaque pâte raconte un savoir, et chaque ferme invite à la découverte. La meilleure façon de percer les secrets ? Aller à la rencontre de ceux qui font vivre ce patrimoine, goûter, questionner, savourer… et peut-être trouver votre fromage préféré là où vous ne l’attendiez pas.