Voyage au cœur du vignoble lorrain, des origines à la renaissance

21 juillet 2025

L’aventure débute bien avant que les routes du vin ne soient balisées par notre GPS moderne. Dès le Ier siècle de notre ère, les Romains, fins connaisseurs en matière de terroir, plantent des vignes sur les bords de la Moselle et dans les vallées voisines. Les archéologues ont même retrouvé des outils de viticulteur quasi-intacts près de Toul et de Scy-Chazelles (source : L’Histoire du vignoble lorrain, Conseil Interprofessionnel des Vins de Lorraine).

  • Ier-IVe siècle : Les premières amphores et mosaïques représentant la vigne apparaissent. Les vins sont déjà issus d’un savoir-faire précis, transmis de génération en génération.
  • Moyen Âge : Les monastères prennent le relais. Moines de Saint-Evre, de Saint-Clément ou encore les bénédictins cultivent, enregistrent et améliorent les cépages. Ils contribuent à structurer le vignoble et à implanter une véritable culture viticole.

Petit clin d’œil : Aviez-vous déjà entendu parler des fameux “clos” lorrains ? Certains sont toujours là, notamment autour de Toul, jalonnant le paysage de leurs murs de pierre.

C’est à partir du XIII siècle que la vigne gagne du terrain en Lorraine. Raison principale : l’eau, parfois moins sûre que le vin, largement consommé par la population. La viticulture devient une activité majeure.

  • Aux XIV et XV siècles, la Lorraine compte plus de 30 000 hectares de vignes, soit près de dix fois plus qu’aujourd’hui (source : Interprofession des vins de Lorraine).
  • Les Ducs de Lorraine deviennent de fervents amateurs et protecteurs des vignobles. Le “vin de Toul” s’impose sur les plus belles tables d’Europe, et des cépages autochtones rares voient le jour.

Anecdote à picorer : on trouvait du vignoble jusque sur les côtes de Nancy et jusque dans les rues nancéiennes ! Le nom du faubourg des Trois-Maisons, à Nancy, vient d’ailleurs de trois maisons entourées de vignes (source : Archives municipales de Nancy).

Comme tous les grands vignobles français, la Lorraine n’a pas échappé aux revers de l’histoire. La fin du XIX siècle marque un virage brutal.

  1. Le fléau du phylloxéra : Ce minuscule insecte a ravagé les vignobles entre 1875 et 1890. Résultat ? La production lorraine est décimée, ne laissant intacts qu’à peine 15 % des pieds de vigne. Le coup est d’autant plus rude que la région comptait alors près de 35 000 hectares de vignes (source : Musée de la Vigne, Toul).
  2. Les mines et l’industrialisation : L’essor du bassin houiller lorrain attire les bras et grignote du terrain. D’immenses surfaces de vignes laissent place à de nouveaux villages ouvriers ou à des puits de mine. La demande de vin chute au profit de la bière, plus adaptée au palais industriel.

C’est pendant cette période sombre que de nombreux petits producteurs abandonnent leur métier séculaire, parfois à regret, souvent par nécessité.

Si beaucoup de vignobles lorrains ont purement disparu, certains irréductibles continuent de mener la barque. Mais le contexte n’est pas des plus favorables. L’image du vin local décline à mesure que la notoriété des vins d’autres régions (Bordeaux, Bourgogne, Alsace...) rayonne sur tout le pays et au-delà.

  • Entre-deux-guerres : La superficie plantée tombe sous la barre des 3 000 hectares. Les plantations “sauvages” se multiplient, mais c’est le temps d’un renouveau fondé sur la qualité et non la quantité.
  • Années 1950-1960 : La mobilisation de quelques visionnaires (famille Ligier, famille Laroppe et d’autres) permet de réhabiliter d’anciens cépages comme le Gamay, l’Auxerrois ou le Pinot Noir.
  • Création de l’AOC Côtes de Toul : 1998 marque un tournant : les Côtes de Toul décrochent leur AOC, gage de reconnaissance pour la qualité retrouvée du vignoble.

À noter : la Lorraine viticole ne se limite pas au seul Toulois. Le Val de Moselle, du côté de Metz et Scy-Chazelles, regagne lui aussi ses lettres de noblesse avec l’IGP Moselle obtenue en 2010.

Aujourd’hui, le vignoble lorrain est une mosaïque humaine et aromatique.

  • Superficie actuelle : Environ 180 hectares de vignes répartis majoritairement autour de Toul, mais aussi de Metz et Sierck-les-Bains (source : INAO, 2023).
  • Des producteurs passionnés : Il y a actuellement moins de 30 domaines professionnels en Lorraine, et chacun façonne son vin dans une logique artisanale, misant sur l’authenticité et le respect du terroir.
  • Mise en avant du “gris de Toul” : Ce rosé pâle, tout en finesse, constitue l’un des emblèmes les plus recherchés de la région.

Mais la vraie révolution se passe dans les têtes : beaucoup de vignerons ont adopté la conversion bio, la lutte intégrée contre les maladies et l’engagement dans la biodiversité. Certains domaines, comme le Domaine Régina ou le Château de Vaux, sont devenus de véritables locomotives dans ce domaine (source : Fédération Viticole de Lorraine, Décanter 2023).

  • La mirabelle et la vigne : Pendant la crise phylloxérique, une partie des viticulteurs lorrains se sont reconvertis en cultivant la mirabelle… donnant à la Lorraine ce double patrimoine fruitier et viticole unique en France.
  • L’appellation “vin gris” : Elle est typiquement lorraine, et ne doit rien à la météo ! Ce vin obtenu par pressurage direct du Gamay, à la robe légère, est l’un des rares rosés à avoir une identité propre reconnue par l’AOC.
  • Des cépages rares et oubliés : Si vous croisez le nom d’un Aubin blanc ou d’un Gamay de Bouze… c’est que vous êtes en territoire de connaisseurs. Ces cépages confidentiels sont en cours de replantation dans la région.

Les défis restent nombreux : adaptation climatique, transmission, formation de jeunes vignerons, capacité à innover sans perdre l’âme du terroir… Mais le vignoble lorrain, fort de cette histoire chahutée et de ses succès récents, s’installe doucement à la table des grands.

Amateurs d’expériences gustatives inédites ou de patrimoine vivant, c’est maintenant qu’il faut explorer la Lorraine viticole. Les caves s’ouvrent, les routes du vin s’animent, les vignerons partagent leur passion : il ne manque plus qu’à lever son verre pour (re)découvrir toutes les nuances d’un vignoble en pleine métamorphose.

Sources : Conseil Interprofessionnel des Vins de Lorraine, INAO, Fédération Viticole de Lorraine, Musée de la Vigne de Toul, Archives municipales de Nancy, Décanter, L’Est Républicain.